Après de durs combats à Toulon, où je vois la flotte française qui s'est sabordée dans le port, mon régiment progresse rapidement sur la rive droite du Rhône.
A Langogne, je vois un spectacle désolant : les premières femmes tondues par les résistants.
En décembre nous étions dans les Vosges. C'est là que m'est arrivée la triste nouvelle du décès de ma mère.
Complètement  bouleversé, j'essayais de cacher mes larmes à mes camarades. Ayant obtenu une permission  de trois jours avec délai de route, j'arrivais en train tant bien que mal, à  Marseille, où j'embarquais sur un bateau pour Alger. Ce fut une traversée dont  je me souviendrai toujours. Escorté par une unité de la marine de guerre, notre  navire dut affronter pendant cinq jours une tempête avant d'arriver à Alger. A  mon arrivée au Cap, les obsèques avaient déjà eu lieu. J'ai pu enfin aller me recueillir  sur le tombe de ma maman. Mon père me disait  qu'elle était morte de chagrin. Je le crois, parce que ma mère ne vivait que  par moi, son fils unique. Elle était tellement fière de moi et de ma réussite. 
     Qu'est devenue aujourd'hui sa tombe ? Je n'ose même pas y penser. D'après les autorités  consulaires le cimetière du Cap a été réhabilité. On sait ce que ce terme  diplomatique cache. En réalité il a été saccagé et pillé en 1962. C'est sur cette note de tristesse que se  termine l'histoire de "Mes jeunes années au Cap", puisque, après la  guerre, ma carrière et mon destin m'ont conduit vers d'autres cieux.
Si j'ai voulu être le témoin de cette période de ma jeunesse, c'est parce que le village où je suis né n'existe, pour ainsi dire, plus. Il a perdu son nom, son église avec son nid de cigognes, son monument aux morts, et même son cimetière. Ils ont été profanés ou détruits.
  
   
  Si j'ai voulu être le témoin de cette période de ma jeunesse, c'est parce que le village où je suis né n'existe, pour ainsi dire, plus. Il a perdu son nom, son église avec son nid de cigognes, son monument aux morts, et même son cimetière. Ils ont été profanés ou détruits.
Sur la photo de décembre 1945, avec mon cousin nous arpentons la rue d'Isly à Alger. Cette belle avenue c'était un peu nos "Champs Elysées".   Que de choses ont changé après la guerre! On rencontrait des filles se promenant seules ou en compagnie de garçons. Les jupes avaient raccourci. Mais ce n'était pas encore la mode des mini-jupes, un des symboles de la libération de la femme.   On ne se rencontrait plus dans les petits bals, sous la surveillance des mamans. Les jeunes se retrouvaient le samedi soir dans les dancings. A Alger, on gambillait dans les salons de l'hôtel Aletti et l'été, au Tamaris d'Aïn-Taya, un établissement au bord de la falaise avait un succès fou.Tous les deux nous revenions de la guerre. Nous avons retrouvé un monde bien changé, même au Cap. Les jeunes sortent bien plus qu'autrefois de leur village. Ils ne se marient plus entre eux. Même la mode a changé. Il y a donc comme une émancipation de la jeunesse.
     Cinquante ans après qu'est devenu le Cap ? C'est un  journaliste algérien qui dans son journal "Le Courrier" me donne la  réponse. Dans un article intitulé :
"Ce qui reste de Cap Matifou", il écrit que : "Bordj el Bahri ( ex Cap-Matifou) n'est plus que béton, égoûts, immondices, routes défoncées. Des plages autrefois renommées, sont polluées par les eaux des égouts qui se déversent dans la mer. Une décharge anarchique, installée auprès d'un bidonville, infecte les lieux. Les odeurs fétides qui se dégagent de ces ordures font fuir même les rats."
  
   "Ce qui reste de Cap Matifou", il écrit que : "Bordj el Bahri ( ex Cap-Matifou) n'est plus que béton, égoûts, immondices, routes défoncées. Des plages autrefois renommées, sont polluées par les eaux des égouts qui se déversent dans la mer. Une décharge anarchique, installée auprès d'un bidonville, infecte les lieux. Les odeurs fétides qui se dégagent de ces ordures font fuir même les rats."
     Cela fait  un demi-siècle qu'un million  de pieds-noirs ont été chassés de leur terre natale. C'est un devoir de mémoire  de transmettre à nos jeunes et aux générations futures, le souvenir de notre  Algérie française qui restera pour toujours gravé dans nos cœurs.
   
   
   
  

